Si pour beaucoup être libres c’est faire ce qui plaît au moment où cela plaît , cette pensée est une idée reçue qui fait confondre la liberté avec la possibilité de tout faire sans contrainte . Le regard porté sur le monde animal laisse supposer que ce monde animal est un monde de liberté . L’envol de canards sauvages en serait un témoignage et pourtant tous ces oiseaux qui volent ne sont -ils pas au contraire prisonniers de leurs instincts et de ce magnétisme terrestre qui les contraignent à immigrer vers les mêmes directions aux mêmes époques . L’être humain est un peu comme la colombe de Kant qui se plaint de cet air qui la freine alors que c’est l’air même qui lui permet de voler et sans cet air, elle ne pourrait pas prendre son envol .Or il ne faut pas confondre instinct et intention , besoin et volonté . Si la liberté possède un sens et constitue un problème , c’est par rapport à un être de projet, engagé dans le choix d’une histoire qu’il a à réaliser .
Ce qui nous empêche d’être libres , c’est que l’être humain est limité . Il n’est pas omnipotent , omniprésent . Il n’est pas Dieu . Dieu est libre absolument libre puisque il produit toute perfection sans être contraint par aucune autre chose .L’homme a contrario est inscrit dans une finitude et est soumis à un déterminisme qui le contraint .
Pourtant nous pouvons nous demander si ce déterminisme nous freine absolument .Descartes pense que l’homme a deux facultés : une volonté incroyable qui le pousse à tout vouloir et un entendement limité . Serions- nous toujours en train de désirer et une fois le désir assouvi tendu à nouveau vers un autre but ? Désirer la liberté certes ,mais quelle liberté ? Nous avons vu qu’elle est délicate à définir et entre la valeur d’un idéal et l’émotion d’un désir , la liberté semble faire souvent l’impasse sur le savoir de ce qu’elle est .d’autant que la liberté a plusieurs degrés : la liberté d’indifférence qui nous fait être comme l’âne de Buridan mourant de faim faute d’avoir su choisir sa pitance , en passant par le fatalisme que nous pouvons qualifier d’irrationnel , le déterminisme déjà évoqué selon lequel il y a liaison nécessaire des causes et des effets mais ce qui doit davantage nous interpeller ce sont les deux orientations fondamentales de cette notion de liberté en philosophie : celle qui envisage la liberté comme un pouvoir de l’intelligence et de la raison et celle qui la considère comme un libre – arbitre . Le libre arbitre étymologiquement est le « jugement de l’arbitre »donc le « pouvoir de choisir » .Il est un synonyme ancien du mot liberté et est « la capacité de se déterminer par soi- même spontanément et volontairement » précise le dictionnaire philosophique de A à Z édité chez Hatier .
L’être humain aurait-il la capacité d’autodétermination ? Ne rencontrerait – il aucun obstacle cette affirmation relèverait de l’utopie .Sur cette idée Sartre nous éclaire en précisant que « contre le sens commun, la formule « être libre ne signifie pas obtenir ce qu’on a voulu mais se déterminer à vouloir ( au sens large de choisir ) par soi- même . » Pour Sartre la liberté est l’autonomie de choix . Mais peut – être que tous les individus ne peuvent choisir car choisir c’est être face à des possibilités que la vie ne donne pas toujours à tous. Mais il est vrai que l’exhaustivité de tout un panel de choix universel est irréel . En revanche chaque être humain a dans son environnement des voies qu’il peut emprunter ou délaisser . En effet tout individu a une raison qu’il se doit d’exercer c’est le sens que Descartes donne à la liberté.
De plus si notre raison nous permet de faire des choix c’est que nous sommes conscients et que nous avons la faculté de nous déterminer consciemment et librement à agir ou ne pas agir . Contrairement au désir qui n’implique pas, comme la volonté , un choix réfléchi ainsi qu’une organisation de moyens au service de la fin choisie quand bien même celle – ci serait la liberté .
Rien ne s’oppose donc à ce que nous soyons libres c’est – à- dire être l’agent réfléchi de nos actes ; c’est le but de la philosophie qui doit nous permettre de trier toutes ces opinions délivrées par le conditionnement des cultures et nous permettre de réagir face à ce qui nous paraît être aberrant ou amoral . En ce sens l’impératif catégorique de Kant qui ne doit pas nous faire faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’autrui nous fît … ou … qui ne doit jamais nous faire considérer l’autre comme un moyen, est fondamental . Pour Kant liberté et raison sont liées .Loin d’être soumise aux inclinations sensibles ou aux désirs , la volonté obéit au contraire à une loi morale rationnelle et universelle . La liberté morale est donc le pouvoir de la raison et Kant le dit clairement dans son livre Fondements de la métaphysique des mœurs : « La liberté est une propriété de la volonté de tous les êtres raisonnables . »
La liberté est assurément une valeur . Certains en sont privés mais dans la foule des esclaves, se lèvent des Spartacus. Face aux emprisonnements abusifs, des humanistes travaillent à la bonne cause , font des Droits de l’Homme des Droits universels .Ces droits vont permettre à tous de pouvoir s’exprimer sans être pour autant inquiétés . Mais en fait tous les hommes ne jouissent pas de cette liberté toujours menacée par les extremismes de tous bords . ce travail de quête de la liberté n’est jamais acquis . L’actualité nous expose avec trop de régularité des tyrans tortionnaires publics et privés pour lesquels la vie humaine ne représente rien . Parler à ces brutes de liberté est impossible autant demander à un lion de devenir végétarien. Tout les dépasse même leur égo hypertrophié dans lequel ils se complaisent . L’histoire les rattrape parfois, en général les règlements de compte se font dans des bains de sang sans égard du droit international . Et on tue au nom de la liberté .. D’autres prisonniers de leur corps paralysé s’en évade par leur esprit et deviennent des génies de la recherche comme Stéphane Hawking célèbre physicien aphasique , paralysé avec un seul doigt valide pour témoigner de son exceptionnelle intelligence via un ordinateur . Spinoza croit à cette liberté de l’homme qui par la connaissance vraie et rationnelle retrouve la puissance de sa nature et par le pouvoir de la raison , accède à l’authentique liberté . Car enfin c’est dans la réflexion profonde que l’homme choisit, a la capacité de dire oui ou non à diverses situations qui se présentent à lui . Telle est l’idée de Sartre qui défend la liberté , athée il ne croit pas à un destin qui enfermerait le sujet dans le filet de la fatalité, aussi dit –il que « L’existence précède l’essence » . les croyants eux sont convaincus que l’essence créée par Dieu précède l’existence . Très suspicieux de la théorie psychanalytique Sartre ne conçoit pas l’homme prisonnier de son passé et au final considère l’homme libre , sans excuse et totalement responsable usant pour ce faire de formules très explosives comme « on n’a jamais été aussi libres que sous l’occupation allemande ». La guerre , l’occupation ne seraient pas pour l’auteur de La Nausée , un obstacle à la liberté ? Pour le maitre de l’existentialisme- non- car c’est la situation à saisir pour faire des choix : s’engager dans la Résistance ou sympathiser avec Pétain .
Qui est alors libre ? Certainement pas celui enfermé dans une société de consommation ou dans un esprit phobique ou dans des préjugés mortifères … Peut - être la liberté absolue n’existe t –elle pas , qu’elle est « empêchée » mais ce qui est important c’est d’être conscients des obstacles qui s’opposent à son émergence et de lutter … aller si non vers la liberté du moins vers une forme de libération .N’était- ce pas déjà le vœu de Malebranche qui était convaincu des différents degrés de la liberté et du combat à mener pour tenter de l’atteindre .Pour lui en effet il « n’y a pas deux personnes également libres à l’égard des mêmes objets . Les enfants le sont moins que les hommes , qui ont tout à fait l’usage de leur Raison (…) Or il faut prendre garde que le principal devoir des esprits , c’est de conserver et d’augmenter leur liberté : parce que c’est par le bon usage qu’ils peuvent en faire , qu’ils peuvent mériter le bonheur . » nous dit –il dans Son traité de la nature et de la grâce. Le mot liberté est très galvaudé et ce qui semble être une liberté digne, c’est l’autonomie par le travail et la culture ; trop d’individus sont en effet tributaires d’autrui et non pas la capacité de se soustraire aux sophistes d’aujourd’hui qu’ils soient politiciens , hommes d’affaires , hommes d’argent étrangement rebaptisés « hommes de pouvoir ».Il faut œuvrer pour à la fois en tant qu’ «animal social » penser à la liberté dans le domaine politique et en tant qu’être rationnel ayant une spiritualité à sa liberté intérieure qui est un sentiment interne tout aussi fondamental.