Nous ne pouvons jamais rejeter la responsabilité de nos actes (ou nous aurions bien envie, de nos erreurs) sur quelqu’un autre. Nous sommes aussi responsables de l’effet de nos actes sur les autres; par exemple si nous nous décidons à faire quelque chose, comme agir d’une certaine manière, nous le proposons aux autres. Sartre écrit: “Quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. […] Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par la nous voulons dire aussi qu’en se choisissant il choisit tous les hommes”.
Une élément supplémentaire est que nous sommes égalment libres de nier la liberté. Dans son étude sur Sartre, Brian Masters écrit: “Sartre demonstrates the full meaning of Existentialist freedom by … showing how men seek to deny it or avoid it”. Sartre désigne ce déni de liberté La Mauvaise Foi. Masters poursuit: “Mauvaise foi involves culpability. In Sartrean morality, the worst criminal is he who, through fear, attempts to mask his freedom, elude the personal effort which must be required to give a meaning to the world, and make of himself as fixed and rigidly determined an entity as the immutable things which surround him”. ll existe plusieurs moyens par lesquels une personne peut refuser sa liberté. Le premier moyen, comme Masters nous indique, est d’attacher de l’importance à la banalité de la vie quotidienne. Masters écrit, “By attaching importance to the banality of everyday life … all actions then have the emptiness of gestures. Those who choose this method are acting a part, leading an inauthentic life”. Le second moyen par lequel l’on peut aussi éviter la liberté est “by living according to the image others have made of one, and fulfilling their expectations”, ou autrement dit, en vivant sa vie comme acteur qui joue un rôle et ne décide pas le destin de son personnage. Un troisième moyen est “by pretending to give meaning to existence in theoretic systems, such as Humanism or Aestheticism”. Selon Sartre, lorsque l’on attache du sens à la vie, l’on évite l’absurdité de l’existence ainsi que la solitude de la vie.
Avec cette compréhension élémentaire de l’Existentialisme Sartrien, nous pouvons maintenant essayer d’examiner le théâtre Sartrien. Avec l’importance que Sartre attache à la liberté dans sa philosophie, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il présente la certitude de la liberté personnelle comme l’un de ses themes les plus profonds. Un parfait exemple se trouve dans “Les Mouches”. Après avoir tué sa mère, Oreste se rend compte du fait qu’il est libre: “Il ne fait pas nuit: c’est le point du jour. Nous sommes libres, Électre. Il me semble que je t’ai fait naître et que je viens de naître avec toi”. Immédiatement il nous semble plus fort: “la liberté a fondu sur moi comme la foudre”. De plus, c’est son acte soi-même qui le fait savoir qu’il est libre: “J’ai fait mon acte, Électre, et cet acte était bon. Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d’eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l’autre rive et j’en rendrai compte. Et plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c’est lui.” Oreste accepte complètement maintenant la responsabilité de ses actes; pour la première fois, il est content parce qu’il sait qu’il domine sa vie. Il continue: “Hier encore, je marchais au hazard sur la terre, et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas … mais aucun n’était à moi. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’un, et Dieu sait où il mène: mais c’est mon chemin”. Sartre répète le mot “mon”, pour accentuer le choix d’Oreste. Jupiter reconnaît aussi le pouvoir de la liberté: “Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d’homme, les Dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là.” Cela souligne encore le pouvoir lorsque le dieu suprême de la mythologie grecque dit que les dieux ne peuvent pas agir contre un homme qui connait sa liberté. Il est évident que Sartre nous invite à comprendre que nous sommes libres.
Cependant, d’autres personnages de Sartre ne sont pas autant disposés à se rendre compte de leur liberté que Oreste. En effet, ils s’en échappent et ils refusent leur existence. Comme nous avons déjà vu ci-dessus, ce refus de liberté est de la mauvaise foi. Le concept de la mauvaise foi dans le théàtre Sartrien est si commun que l’on peut dire qu’il est en général le défaut principal d’un personnage, surtout dans le personnage d’Hugo dans “Les Mains Sales”. Durant toute la pièce, Hugo, un intellectuel bourgeois, essaie de faire ses preuves en tant que véritable homme d’action, et pas uniquement quelqu’un qui joue avec la politique, comme le faisait son père. Il se décide à accepter la mission de tuer Hoederer qui, aux yeux du parti communiste, est traître idéologique. Pendant qu’il attend le moment approprié pour le tuer, Hugo se rend compte qu’il commence à avoir de l’admiration pour Hoederer et ses politiques et qu’il trouve difficile de l’assassiner. Pourtant son envie d’être vu comme un “dur” aux yeux du parti (“Olga, il faut que tu m’aides … à convaincre Louis qu’il me fasse faire de l’action directe. J’en ai assez d’écrire pendant que les copains se font tuer”) et de ne pas être comme son père (“je ne suis pas le fils de mon père”) est si fort qu’il est prêt à tuer l’homme qu’il aime: “J’aimais Hoederer, Olga. Je l’aimais plus que je n’ai aimé personne au monde”. En essayant de faire croire aux autres qu’il est la personne qu’il voudrait être, et en reniant sa liberté de choix, Hugo est coupable de mauvaise foi. Selon les paroles de Masters, “He who makes a wilful effort to “be” the person others see in him and to consciously play the role they have cast for him, is … alienating his freedom.” Même sa femme Jessica croit que Hugo joue un personnage qu’il n’est pas, quand elle le taquine: “tu joues bien au révolutionnaire.”
Par ailleurs, l’on ne permet pas aux personnages de “Huis Clos” d’être de mauvaise foi. Dans “Huis Clos”, Inès, Garcin et Estelle se trouvent en enfer, mais un enfer sans bourreau, parce que, comme Inès s’en rend compte, “Le bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres.” Les trois personnages, tout comme Hugo, essaient de faire accepter aux autres un image d’eux-même comme ils voudraient être vu, et faire oublier ce qu’ils sont vraiment. Cependant, comme Danto explique, “there is a mutual refusal, indeed incapacity to do this [and] each is forced to see himself through the eyes of the others, and none can escape an identity imposed from without.” Maintenant, pour l’éternité, chacun sera jugé seulement sur les actes qu’il a faits dans la vie, et non sur ses intentions. Personne ne peut changer son essence maintenant, parce qu’ils sont tous morts. Comme Inès répond à Garcin quand il dit “On est ce qu’on veut. […] On ne m’a pas laissé le temps de faire mes actes”, “Seuls les actes décident de ce qu’on a voulu. […] Tu n’es rien d’autre que ta vie.” Chacun des personnages sont vus sous leur plus mauvais aspect, comme ils sont vraiment, et ils doivent affronter le regard des deux autres et supporter la honte qu’il contient. Plus simplement, Sartre nous prévient du fait que nous sommes jugés sur nos actes et que nous ne pouvons pas changer les opinions que les autres ont de nous lorsque nous sommes morts. On ne permet même pas aux personnages la mauvaise foi mutuelle envers un autre, parce qu’il y a toujours une troisième personne. D’après Thody, “If by any miracle two people manage to reach some kind of co-operative coexistence, the arrival of a third person immediately destroys this harmony”. Nous voyons surtout ceci quand Garcin commence à séduire Estelle sous les yeux d’Inès, mais comme Inès leur rappelle: “Faites ce que vous voudrez, vous êtes les plus forts. Mais rappelez-vous, je suis là et je vous regarde. Je ne vous quitterai pas des yeux, Garcin; il faudra que vous l’embrassiez sous mon regard”. Même quand ils essaient d’oublier que Inès reste dans la même salle et il essaient d’avoir une mauvaise foi mutuelle, Inès est encore là pour leur rappeler leurs vraies identités: “Fais ce qu’on te dit, Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l’infanticide.”
Avec sa terminologie spécifique comme la mauvaise foi, l’existence ou l’essence, il serait difficile d’argumenter que l’Existentialisme est un sujet facile à comprendre. On peut comprendre la raison élémentaire pour laquelle Sartre se sert du théâtre; un moyen visuel de montrer une philosophie vraiment abstraite. Pourtant, il y a d’autres raisons pour lesquelles Sartre utilise le théâtre. Dans “Un Théâtre de situations”, Sartre explique, “Ce que le théâtre peut montrer de plus émouvant est un personnage en train de se faire, le moment de choix, de la libre décision qui engage une morale et toute une vie. La situation est un appel; elle nous cerne; elle nous propose des solutions, à nous de décider.” Nous pouvons clairement comprendre cet argument à travers les personnages d’Hugo et d’Oreste. Avec Oreste, nous voyons sa lutte pour devenir libre; avec Hugo, nous comprenons où sa mauvaise foi le blesse. En nous présentant des personnages “en train de se faire”, Sartre applique sa philosophie aux humains que nous pouvons voir et sentir, afin que nous la comprenions mieux. Sartre utilise aussi le théâtre pour faire connaître un homme seulement par ses actions, pour communiquer le fait que nos actes nous définissent. Dans son article “Le style dramatique”, Sartre écrit: “and further, if we are at a distance from the setting, we are equally distant from the man himself, which means that the man before us, acting in front of us, is someone whom we never come to know except through his actions; the only way we have of knowing a character is by his acts.”
Dans son théâtre, Sartre nous explique et nous décrit les principes de sa philosophie existentialiste. Le personnage d’Oreste nous montre le pouvoir de la réalisation de la liberté, tandis que nous voyons l’angoisse d’Hugo qui refuse sa liberté en jouant au révolutionnaire quand il n’est pas le “dur” qu’il voudrait être. La pièce “Huis Clos” nous montre l’importance de nos actes dans la vie, au point qu’ils nous definissent et que nous sommes jugés par eux. Elle nous montre aussi que ce sont uniquement les actes qui importent, et non nos envies ou ce que nous désirerions faire. Pourtant, dans toutes ses pièces, Sartre souligne le fait que nous devons accepter la responsabilité de nos vies et de notre liberté. En se servant du théâtre, Sartre dispose d’un moyen visuel pour montrer l’abstrait. Nous pouvons étudier la philosopie utilisée sur les personnages et nous voyons un personnage “en train de se faire”, afin que nous comprenions leurs pensées. Cependant avec le théâtre, Sartre voudrait surtout nous influencer. Si nous pouvons reconnaître l’importance de la liberté dans les personnages de Sartre, nous reconnaitrons la liberté dans nos propres vies, nous abbandonerons notre mauvaise foi et nous accepterons la responsabilité de nos actes et la responsabilité envers les autres.
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