Par delà les phénomènes perceptibles, existe un univers, celui des Essences, des idées. Le monde vécu par les tenants du sens commun n’est qu’une médiocre et pale reflet du réel infigurable. Le philosophe, armé de sa dialectique accède à cet invisible et parvient, par le dialogue à le dévoiler aux profanes. Une ultime conclusion se profile à l’horizon de cette conception. Pour instituer une cité conforme à l’idéal il faut confier le gouvernement de la cité aux philosophes rois. Travailleurs manuels et guerrier obéiront aux professionnel de la Cité idéale. Avec d’autres, tels que Xénophon et Isocrate, Aristote contestera la philosophie platonicienne. Il partage la vision des Idées mais il récuse l’hypothèse de leur séparation radicale d’avec le monde sensible. Il suffit que les citoyens, soumis aux lois incarnées par les magistrats, se mettent à l’écoute attentive des philosophes afin de conformer leurs pratiques à la logique. Les grecs appelaient donc « philosophie » l’amour de la sagesse liée au discours (logos) qui porte sur l’idée (idea). Pour Platon, ces idées, celles de Justice, de Courage ou de Bien sont invisibles et le philosophe essaye de les percevoir à travers le recours à la dialectique. Le philosophe est l’homme qui, par le dialogue, voit et fait voir au moyen des mots.
Ce système de représentations dénommé philosophie historiquement indissociable de la Cité grecque et plus particulièrement de la démocratie athénienne au siècle de Périclès, c’est ce que montre Platon dans le sillage de Socrate. Durant une discussion celui-ci demande à Thrasymaque, le sophiste, ce qu’est la justice. Thrasymaque répond que la justice est l’intérêt du plus fort et il donne cette explication « Eh bien tout gouvernement établit toujours les lois dans son propre intérêt ; la démocratie, des lois démocratiques ; la monarchie, des lois monarchiques et les autres régimes de même ; puis ces lois faites, ils proclament juste pour les gouvernés ce qui est leur propre intérêt, et, si quelqu’un les transgressent, ils le punissent comme violateur de la loi et de la justice. Voila, mon cher, ce que je prétends qu’est la justice uniformément dans tous les états : c’est l’intérêt du gouvernement établi. Or c’est lui qui à la force, d’où il suit pour tout homme qui sait raisonner que partout c’est la même chose que partout c’est la même chose qui est juste, je veux dire l’intérêt du plus fort. »
Socrate le contredit en montrant une réciprocité de perspective entre la vertu personnelle et la démocratie politique. Le citoyen grec n’obéit qu’à la loi (nomos) de la cité. Par là, le système démocratique diffère du système despotique à l’œuvre en Perse. Le Sophiste reconnaît alors, l’erreur logique de son argumentation. Mais par delà cette mise en rapport de la philosophie avec la démocratie athénienne et son déclin, le surplomb de ces considérations locales ouvre sur une perspective plus élargie. En effet, hors du langage et des repères arbitraires, la vie sur terre n’a pas de sens. Dans ces conditions « rasean penant », les cosmogonies anciennes et les religions colmatent ce manque radical. Plus tard, les visions athées de la philosophie assument cette vacuité, source de l’angoisse existentielle et l’explorent. C’est à Nietzsche que reviendra l’assomption de la coupure épistémologique symbolisée par son injonction iconoclaste : « dieu est mort, il faut que le surhomme vive. » Mais bientôt séduites par les succès des sciences escortes, les sciences dite sciences sociales ou humaines vont s’emparer du territoire déblayé par l’exploration philosophique. Ici prendra la formulation de Marx dirigée contre la spéculation abstraite : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, mais il s’agit de le transformer. » au terme de ce cursus, la reprise de cette conception amènera les tenants du sens commun à répandre, partout, cette nouvelle définition : philosopher c’est radoter.