L’application de cette théorie se construit à partir de la ressemblance des faits et pratique des comparaisons entre présent et passé pour y découvrir un noyau dur une forme de vérité. C’est pour cette raison que le prince doit bien connaître l’histoire et ainsi éviter d’échouer là où d’autres l’ont fait. Bien que toute action soit soumise à la fortune ou au hasard, il est possible de tirer des règles générales de l’histoire. Le prince a le devoir de déchiffrer dans le présent les signes avant-coureurs d’une future rébellion ou d’une révolution, car un coup enclenché il est trop tard pour agir et y mettre un frein. Ainsi, tous les récits fort précis que l’on trouve dans Le Prince ne sont pas que pure spéculation, ils ont un but stratégique, ils doivent permettre d’organiser intelligemment la démarche à suivre face à un problème donné. De plus, le prince se servira de ces connaissances en matière historique afin de maîtriser l’art de la guerre, pour dominer ou garder une principauté et tout autres causes personnelles. L’histoire selon Machiavel devient donc un outil pratique mis à la disposition du souverain.
En ce qui à trait à Karl Marx, il se situ dans l’époque moderne, mais il a, à sa façon, crée un clivage entre les penseurs philosophiques ou politiques qui le suivront. Il est, en quelque sorte le contre poids du libéralisme, stipulant que l’État n’est qu’une superstructure soumise et dirigée par l’économie. Son œuvre marque le début d’un nouveau modèle de penser largement basé sur ce qu’il appellera le matérialisme historique et qui se trouve en fait à être une critique du système capitaliste à l’intérieur de l’État. Ce système a pour but l’exploitation maximale de la classe prolétaire par les propriétaires des moyens de production, donnant à la classe ouvrière le strict minimum nécessaire à la reproduction de la force de travail, à l’existence de la classe en tant que telle. Il ajoute; « L’histoire de toute société jusqu'à nos jours est l’histoire des luttes de classe.» Signifiant purement et simplement que tous les phénomènes historiques, quels qu’ils soient, ne sont pas autre chose que des formes diverses et complexes de la lutte des classes, l’histoire se résume donc à cela.
Toujours selon Marx, ces antagonismes de classe sont déterminés par des conflits économiques des classes dans la production, elles ne sont pas une lutte portant sur une vision juridique, politique, égalitaire ou idéologique elle est fondamentalement financière. Il axe sa critique sur la classe bourgeoise qu’il croît être responsable de l’effondrement du système de valeur social, religieux et moral ce qui est contraire à tout développement historique antérieur. C’est grâce à la bourgeoisie et à l’industrialisation que c’est développé les prolétaires et c’est cette classe qui mettra un frein à l’expansion bourgeoise en vue de l’émancipation humaine. Karl Marx et Friedrich Engels dressent donc l’esquisse d’une société sans classe, donc sans conflit, dans laquelle, « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. » C’est ainsi que mourrait le concept d’histoire telle qu’on le connaît.
Bien que les propos des deux auteurs se ressemblent sur quelques points, nous distinguons plusieurs antinomies au sujet de leur vision respective de l’histoire. Ces distorsions se retrouvent généralement au niveau de l’utilité de l’histoire et de sa finalité. Pour Machiavel l’histoire doit être considérée comme un outil, un moyen mis à la disposition du souverain pour l’aider à gouverner, à se maintenir en place et même à prendre le pouvoir. Pour sa part, Marx voit dans l’histoire l’évolution et la preuve de l’antagonisme des classes qui mèneront indubitablement à l’émancipation humaine et la libération de la classe prolétaire. D’autre part, l’œuvre philosophique et politique de Machiavel se base essentiellement sur l’histoire tandis que celle de Marx a un rapport beaucoup plus profond avec l’analyse des phénomènes économiques ou plutôt matérialiste. Il prétend que l’histoire est la succession des antagonismes de classe et qu’elle est basée sur le mode de production qui lui serait le fait historique qu’y se répéterai. L’histoire se répéterait donc obligatoirement en fonction des modes de production qui eux même seraient dictés par le progrès scientifique et technologique dans le temps. Afin d’arrivé à une analyse la plus claire possible, Marx tente de se pencher strictement sur les faits matériels et « faire abstraction de toute donnée éternelle ou transcendante » ce que Machiavel appellerai la Fortune. Ainsi, Marx refuse de donné une quelconque valeur à la fortune, Dieux ou à la providence ce que Machiavel fait d’ambler; « Néanmoins, ne pouvant admettre que notre libre arbitre ne soit réduit à rien, j'imagine qu'il peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu'elle en laisse à peu près l'autre moitié en notre pouvoir.» En somme, Marx a rendu l’histoire au niveau de science tandis que Machiavel a transformé l’histoire en un outil de la science du pouvoir. Dans cette optique, le but de machiavel est de connaître l’histoire le plus possible pour, faute d’avoir de la vertu, savoir imiter les grands personnages de ce monde tandis que Marx désirerait plutôt l’émergence de la classe prolétaire ce qui provoquerait la fin de l’antagonisme des classes et, du même coup, la fin de l’histoire telle que nous la définissons.
Bien qu’ils aient chacun leurs points forts, j’aurais tendance à favoriser la conception historique de Marx. Je trouve intéressant que Marx voie dans la conception historique traditionnelle des idéologies qui prennent racine dans les intérêts d’une classe et qu’en finalité la révolution prolétarienne amène la fin de l’histoire. Cependant, j’estime qu’il y a erreur et qu’à l’époque où il jetait les bases de sa pensée, des disciplines comme l’anthropologie et l’ethnologie, n’étaient pas assez développées pour qu’on puisse prétendre que sa théorie sur l’antagonisme continuel des classes soit universellement applicable. Certes, il s’agit là d’une critique largement répandue qu’il n’enlève rien, selon moi, à sa pensée scientifique et à sa quête de vérité qui est remarquablement exprimée dans le Manifeste du parti Communiste. Pour sa part, Machiavel est plus pragmatique, et compte tenu du moment où il écrit ce livre, je crois que sa vision du pouvoir et de l’histoire sont dignes de mention. C’est ce coté pratique que je trouve attirant chez Machiavel, car je suis d’avis qu’une idéologie doit être autrement plus réalisable que strictement théorique et que sa valeur se calcul justement par sa capacité de réalisation tout en respectant l’intérêt commun au sens ou les Grecs l’entendaient. Sa pensée a toutefois ses limites, tous les efforts faits par Machiavel pour comprendre l’histoire n’ont qu’un but; le pouvoir. Ceci étant dit, pour nous la politique n’est pas seulement une question de pouvoir ou une mainmise sur la société. De plus, Machiavel n’apporte que très peu d’importance à la morale et au développement de l’espèce tandis que Marx base la finalité de sa théorie dans l’émancipation de l’humanité. C’est pourquoi d’ordre général je trouve Marx plus intéressant, d’autant plus qu’il a suscité une utilisation plus concrète de sa théorie avec malheureusement les résultats que l’on connaît.
Nicholas MACHIAVEL, Machiavel sur les princes, Québec, Le Griffon d’argile, 1989, p.57
Karl MARX et Friedrich ENGELS, Manifeste du parti Communiste, Paris, Librio, 1998, p.26
Dmitri Georges LAVAROFF, Les grandes étapes de la pensée politique, Paris, Dalloz, 1999, p.436
Nicholas MACHIAVEL, Machiavel sur les princes, Québec, Le Griffon d’argile, 1989, p.88