J’estime que les chansons de Brassens ont toujours comme points communs la même recherche d'un vocabulaire riche et désuet, la même fluidité dans la mélodie, la même corrélation entre le rythme de la phrase chantée et celui de la phrase parlée. Le texte est mis en valeur par le dépouillement de l'accompagnement, fait d'harmonies souvent simples, parfois plus élaborées, jamais surchargées. Chaque chanson que j'ai étudiée de Brassens confirme son double attachement à une poésie à la fois tendre et populaire, qui charme et dérange.
Il y a tout lieu de penser que ses musiques ont la réputation de se ressembler toutes, d'être monotones. Qu'on ne s'y trompe pas: sous les accords sobres de sa guitare se cachent tous les genres: ‘blues’ dans la chanson: ‘supplique pour être enterré à la plage de Sète’, ‘rock 'n' roll’ dans ‘mourir pour des idées’ et même ‘jazz’ dans “Les copains d’abord. Nul ne saurait douter que sa voix ne soit pas spécialement “belle” mais sa façon de lâcher les mots, très proche de celle des chanteurs de blues, est difficilement imitable. Le personnage a longtemps retenu l'attention: le verbe cru , l'air bougon, il se créa très vite l'image d'un “ours mal léché” comme Jacques Brel l'a décrit , d'autant qu'il se refusa toujours à révéler le moindre élément de sa vie privée . Il s'explique aussi, avec humour et ironie, de ses gauloiseries et du rôle que le public le force à jouer. Il y a là, diraient les sémiologues, un signe nouveau et relativement rare dans ce milieu: la vedette qui refuse de jouer le jeu du vedettariat, il a dit “Je ne cours pas après les journalistes ni les photographes”, l'homme célèbre dont on ignore la vie privée; ajoutons qu’au sujet de l'argent Brassens a indiqué “c'est pas le mobile de mon action” A noter également qu’il laisse cependant percer quelques éléments sur ses “copains”, qui participe bien a son univers et de son mythe.
Cela me paraît évident que dans la chanson ‘Le testament’, on voit l’attitude de Georges Brassens envers la mort - attitude calme et serèine avec une pointe d’humour:
“Quand le Dieu qui partout me suit
Me dira, la main sur l’épaule :
"Va-t’en voir là-haut si j’y suis”
“S’il faut aller au cimetière,
J’ prendrai le chemin le plus long,
J’ ferai la tombe buissonnière”
“Avant d’aller conter fleurette
Aux belles âmes des damnés”
On voit aussi son amour pour la nature, les arbres et les chats:
“Est-il encor debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil ?”
“Qu'il boiv' mon vin, qu'il aim' ma femme,
Qu'il fum' ma pipe et mon tabac,
Mais que jamais - mort de mon âme!
Jamais il ne fouette mes chats...”
et dans la chanson “Supplique pour être enterré à la plage de Sète” son amour pour les dauphins:
“Auprès de mes amis d’enfance, les dauphins”
Donc, il me semble que nous pouvons voir que dans sa vie il était tout près de la nature, il a dit lui-même “Je suis un être très naturel”
Quand on écoute les chansons “Les copains d’abord” et “Chanson pour l’Auvergnat”, on peut observer certainement sa reconnaissance envers les personnes qui l’ont aidé surtout au début de sa vie. Il n’a jamais oublié ceux qui l’ont aidé, une vraie caractèristique de sa vie:
“Elle est à toi cette chanson
Toi l'Auvergnat qui sans façon
M'as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid”
“Elle est à toi cette chanson
Toi l'hôtesse qui sans façon
M'as donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim”
Je suis persuadé que quand il a chanté “La mauvaise herbe”, “La mauvaise réputation”, et “Hécatombe” les Français ont vu le côté sombre de Georges Brassens et son attitude un peu anarchiste. A la question ‘êtes-vous un anarchiste’ il a répondu: “Je crois l’être mais je ne prétends pas l’ être”
Dans les chansons “Mourir pour des idées” et “La guerre de 14-18” apparait sa haine contre la guerre, conséquence de son experience de la guerre de 1939-1945. Une haine, qui figure solidement dans sa vie et sa poesie:
“Depuis que l'homme écrit l'Histoire,
Depuis qu'il bataille à coeur joie
Entre mille et une guerr' notoires,
Si j'étais t'nu de faire un choix,
A l'encontre du vieil Homère,
Je déclarais tout de suit' :
" Moi, mon colon, cell' que j' préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit ! “
Georges Brassens est sans conteste le poète le plus attachant de cette fin de siècle. Les chansons de Georges Brassens habitent la mémoire et le coeur de millions de gens; les plus connues ont franchi les frontières, et l'oeuvre survit avec le temps. A mon sens c’est parce que sa vie et sa personnalité figure si solidement dans sa posie que les Français continuent de lui témoigner une immense admiration mais aussi une infinie tendresse. Depuis sa mort, plusieurs établissements scolaires et l'un des plus grands parcs de Paris, portent son nom. De nombreux ouvrages lui sont consacrés et des expositions concernant sa vie et son oeuvre sont réalisées un peu partout en France, sans oublier sa production discographique régulièrement rééditée, et dont l'intégrale en compact disque . Je suis d’accord avec Jacques Brel qui a dit: “Je crois que c'est un péché mortel de ne pas écouter Brassens. On peut ne pas l'aimer, on ne peut pas ne pas l'essayer.”