DROIT DES MÉDIAS ET DE L’INFORMATION

Année académique 2004-2005


Avertissements liminaires:

        Depuis l’année 2003-2004, le cours de droit des médias et de l’information est donné en alternance avec un cours de droit des technologies de l’information. Si le cours de droit des technologies de l’information se préoccupe des contenants, le cours de droit des médias et de l’information s’intéressera, lui, aux contenus.

        Le plan du présent syllabus correspond à celui de l’enseignement dispensé au cours. Toutefois, il est rappelé aux étudiants que c’est l’enseignement qui reste déterminant pour juger l’importance respective des différents sujets abordés, et non la quantité de lignes, paragraphes ou pages se trouvant dans le présent syllabus.

        Certains passages du présent syllabus sont empruntés, moyennant remaniements, à certains articles ou ouvrages que j’ai publiés précédemment. Si la plupart des textes législatifs antérieurs au 1er octobre 1996 se trouvent dans le recueil “Medialex”, édité avec Simon-Pierre De Coster (Kluwer, 1997), ceux publiés à partir de juin 1997 peuvent être consultés sur le site web du Moniteur () ou sur le site du Conseil supérieur de l’audiovisuel (www.csa.cfwb.be). Parmi les monographies les plus récemment publiées, on peut citer en Belgique le « Droit de la presse » de Hoebeke et Mouffe (Academia, 2000), le « Handboek Mediarecht » de Dirk Voorhoof (Larcier, 2003) ainsi que « La presse et la protection juridique de l’individu » de Koen Lemmens (Larcier, 2004) et, en France, le « Dictionnaire de droit des médias » d’Emmanuel Derieux (Legipresse, 2004).

        Outre les revues généralistes traditionnelles (JT, JLMB, Journal des Procès) qui publient régulièrement des décisions en matière de droit des médias, la consultation des revues Auteurs & Media  et Ubiquités (pour la Belgique) et Legipresse (pour la France) est également utile.

        Pour le reste, on peut recommander les quelques sites web suivants, sur lesquels on trouvera de la législation coordonnée, de la jurisprudence ou des informations d’actualité:

  • CSA belge:
  • CSA français:
  • IBPT:
  • Cour de cassation :
  • Cour d’arbitrage :
  • Conseil d’Etat :
  • Cour européenne des droits de l’homme :
  • Conseil de l’Europe (médias) :

 

  • Cour de justice des Communautés européennes: http://curia.eu.int
  • Commission européenne : http://europa.eu.int/comm/avpolicy/index_fr.htm
  • ASBL Droit et nouvelles technologies:
  • Société des rédacteurs de La Libre Belgique : http://sdr.ovh.org
  • AGJPB :
  • Editeurs francophones de Belgiques: 
  • Tuner (actualité de la radio en Belgique):
  • Action critique médias :
  • Observatoire du récit médiatique :


INTRODUCTION

Définitions

Média: “Moyen de diffusion, de distribution ou de transmission de signaux porteurs de

         messages écrits, sonores, visuels (presse, cinéma, radiodiffusion, télédiffusion, vidéographie, télédistribution, télématique, télécommunication...”

Contexte

Evolution technique: hertzien, câble, satellite, numérisation, convergences

Evolution sociologique: société du travail et société des loisirs; fenêtre et miroir

Evolution économique: message aux lecteurs, public aux annonceurs

Evolution politique: ingérence, indépendance; (B): communautarisation

Evolution juridique: monopole, autorisation, libéralisation

Types de médias

Médias écrits (livre, presse...)

Médias audiovisuels (radio, télévision, cinéma, vidéo...)

Médias électroniques (Internet...)



I. PRINCIPES GÉNÉRAUX

I.1. LA LIBERTÉ D’EXPRESSION 

*                « (…) si la presse aime volontiers se qualifier de « quatrième pouvoir » dont la noble mission consiste, notamment, à surveiller les trois autres, et à clouer au pilori les errements réels ou supposés de ceux-ci, il n’est pas superflu de rappeler que cette mission, dont l’utilité n’est évidemment pas contestable, est exercée dans nos pays par des entreprises de caractère commercial pour la plupart et dont la finalité, par ailleurs légitime, est aussi de générer des profits ;

Qu’au demeurant, la presse fait de plus en plus l’objet de regroupements financiers à l’occasion desquels divers capitaines d’industrie peuvent donner toute la mesure de leurs ambitions et de leurs moyens, quelques fois inquiétants ;

Que l’importance du tirage conditionne pour une bonne part la rentabilité de ces entreprises ;  que ce tirage est lui-même fortement influencé par le caractère sensationnel des nouvelles véhiculées par les journaux ; » 

*                « (…) pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »

1.        En cette fin de XXè siècle, les médias ne peuvent plus seulement être appréhendés comme un terrain d'exercice de la liberté d'expression : de plus en plus souvent, c'est avant tout dans le cadre de leur liberté d'entreprise que les entreprises de médias exercent leurs activités.  C'est donc sous ce double angle que l'on doit envisager les droits et libertés applicables en matière de médias.

Toutefois, l’étude de la liberté d’entreprise ressortira plutôt au cours de «droit des technologies de l’information »qui traite plutôt des contenants. Pour ce cours de « droit des médias et de l’information », on s’attachera à l’étude de la liberté d’expression, tout en en mesurant les limites, dites et non dites.

2.        Il convient d'abord de citer la déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont l'article 19 prescrit que :

        “Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et idées par quelque moyen d’expression que ce soit.”

        Toutefois, nonobstant sa valeur de principe général, la déclaration universelle des Droits de l'Homme est dépourvue d'effet juridique direct en droit belge.  On se référera donc plus utilement à la Convention européenne des Droits de l'Homme.

I.1.1. La liberté d’expression en droit européen 

3.        Signée à Rome le 4 novembre 1950 et ratifiée en Belgique par la loi du 13 mai 1955, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme est directement applicable dans l'ordre juridique belge. En outre, la Belgique a accepté la possibilité de recours individuel devant la Cour prévue par l'article 34 de la Convention, telle que modifiée par le Protocole n° 11 entré en vigueur le 1er novembre 1998. Le texte central en matière de liberté d’expression est l’article 10:

             “Article 10. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

        2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire."

        Existe-t-il une hiérarchie entre les différents droits et libertés ? Il a été entendu de longue date que la liberté d’expression revêt une importance toute particulière, d’aucuns n’hésitant pas à la considérer comme la liberté permettant l’exercice de toutes les autres libertés. Sans aller aussi loin, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de pareille société [démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. » 

I.1.1.1. Portée du principe

« Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. » 

a) Liberté d’opinion

4.        La première composante de la liberté d'expression est la liberté d'opinion.  Cela pourrait apparaître comme une évidence dès lors que, par définition, l'opinion se forme à l'intérieur de l'individu et qu'elle est dès lors, par définition, difficile à contrôler ou à empêcher.

        Toutefois, la Cour européenne des Droits de l'Homme a eu l'occasion de confirmer ce principe dans son arrêt Lingens du 8 juillet 1986.  Dans cette affaire, un journaliste autrichien avait été condamné par la justice autrichienne pour avoir contesté en termes assez virulents l'attitude morale du Chancelier Kreisky : « Aux yeux de la Cour, il y a lieu de distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. (...) Selon le paragraphe 3 de l’article 111 du Code pénal, combiné avec le paragraphe 2, les journalistes ne peuvent en pareil cas échapper à une condamnation pour des actes définis au paragraphe 1 que s’ils peuvent établir la vérité de leurs assertions (...). Or, pour les jugements de valeur, cette exigence est irréalisable et porte atteinte à la liberté d’expression elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 de la Convention ».

5.        La sensibilité à tout ce qui touche à cette période noire de l’histoire de l’Europe apparaît également dans un autre arrêt        qui illustre également les limites de la liberté de communication : l’arrêt Wabl, qui vient rappeler que, si les jugements de valeur ne doivent pas être prouvés, ils doivent néanmoins être dépourvus de tout caractère injurieux.  Dans cette affaire, un député écologiste autrichien qui avait, lors d’une manifestation, mordu un policier, fit l’objet dans un quotidien populaire d’un article pour le moins douteux où le policier mordu réclamait que le député soit soumis à un test du dépistage du sida.  Le député qualifia l’article de journalisme nazi, et fut attaqué par le journal : en dernière instance, la Cour suprême lui interdit de répéter à nouveau pareille allégation.  Cette ingérence dans sa liberté d’expression fut jugée légitime par la Cour européenne des Droits de l’homme compte tenu « de la stigmatisation particulière liée aux activités inspirées par les idées nationales socialistes » .

        Par contre, s’il est établi, le rappel du passé fasciste d’un homme politique est légitime et ne peut justifier la condamnation d’un journaliste.

b) Liberté de communication

Qui communique?

La liberté d'expression peut être revendiquée par tous, sans exception.  Divers arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme viennent  rappeler ce principe.

5 bis.        L’affaire Autronic du 22 mai 1990, vit opposée à la Suisse une société privée commercialisant des antennes paraboliques permettant de recevoir les programmes d'un satellite.  Au gouvernement suisse qui alléguait que la liberté d’expression ne pouvait pas être invoquée par une société commerciale, la Cour répondit que "Ni le statut juridique de société anonyme, ni le caractère commercial de ses activités ni la nature même de la liberté d'expression ne sauraient priver Autronic AG du bénéfice de l'article 10. Ce dernier vaut pour toute personne, physique ou morale."

6.        La liberté d’expression vaut pour toute personne, quelles que soient les fonctions qu’elle occupe. Certes, certaines fonctions requerront une obligation de réserve de ceux qui les occupent : cette obligation ne peut toutefois s’analyser comme une absence de liberté d’expression, mais comme la nécessité d’accepter éventuellement un degré plus élevé d’ingérence dans l’exercice de cette liberté. Le débat s’inscrira donc dans l’alinéa 2 – proportionnalité de l’ingérence -, et non dans l’alinéa 1er, de l’article 10. La Cour a rappelé ce principe pour les fonctionnaires en général, et notamment pour les magistrats.

        Ainsi, dans son arrêt Vogt mettant en cause le cas d’une enseignante allemande sanctionnée pour sa participation aux activités du parti communiste, elle a jugé que : « s'il apparaît légitime pour l'Etat de soumettre [les fonctionnaires], en raison de leur statut, à une obligation de réserve, il s'agit néanmoins d'individus qui, à ce titre, bénéficient de la protection de l'article 10 de la Convention.  Il revient donc à la Cour, en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l'individu à la liberté d'expression et l'intérêt légitime d'un Etat démocratique à veiller à ce que sa fonction publique oeuvre aux fins énoncées à l'article 10 par. 2.  En exerçant ce contrôle, la Cour doit tenir compte du fait que, quand la liberté d'expression des fonctionnaires se trouve en jeu, les "devoirs et responsabilités" visés à l'article 10 par. 2 revêtent une importance particulière qui justifie de laisser aux autorités nationales une certaine marge d'appréciation

pour juger si l'ingérence dénoncée est proportionnée au but mentionné plus haut ».

        Le même raisonnement fut rappelé dans l’arrêt Wille, du nom du président du tribunal administratif du Lichtenstein menacé par le Prince du Lichtenstein de non-reconduction dans ses fonctions pour avoir soutenu, lors d’une conférence, une thèse contraire à celle du monarque à propos de l’interprétation d’une disposition constitutionnelle.

7.        Dans l'affaire Castells, la Cour put également souligner l'importance toute particulière de la liberté d'expression pour un citoyen espagnol qui était non seulement avocat mais aussi sénateur élu sur une liste indépendantiste basque : "Précieuse pour chacun, la liberté d'expression l'est tout particulièrement pour un élu du peuple; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Partant, des ingérences dans la liberté d'expression d'un parlementaire de l'opposition, tel le requérant, commandent à la Cour de se livre à un contrôle des plus stricts." L’arrêt Jerusalem a transposé ces principes à l’exercice de la liberté d’expression dans un conseil communal. Bien que ne traitant pas de l’article 10 en tant que tel mais de l’article 6 (droit à un procès équitable), trois arrêts récents ont souligné l’importance et les limites de l’immunité d’expression dont bénéficie un parlementaire dans l’exercice de ses fonctions.

Communiquer quoi?

        Tous les discours sont-ils couverts par la liberté d'expression ?  A peu de choses près, oui.

8.        Dans deux affaires mettant en cause l'Allemagne, la Cour européenne des Droits de l'Homme a eu l'occasion de se pencher sur la question de l'applicabilité au discours commercial, voire au discours publicitaire, de l'article 10.

        La première affaire mettait en cause le Dr. Barthold, vétérinaire et propriétaire d'une clinique vétérinaire, qui s'était vu reprocher par des confrères d'avoir pris officiellement position dans un journal hambourgeois pour un service de garde d'urgence pour les animaux.  Dans cette  affaire, la Cour considéra qu'il n'y avait pas à proprement parler publicité, mais posa quelques premiers jalons de principe :

        “On ne saurait en dissocier les éléments qui touchent moins à la substance qu’au mode de formulation et qui, selon les juridictions allemandes, ont un effet publicitaire; on le peut d’autant moins qu’il s’agissait d’un article écrit par une journaliste et non d’une annonce commerciale. La Cour constate dès lors l’applicabilité de l’article 10, sans avoir besoin de rechercher en l’espèce si la publicité comme telle bénéficie ou non de la garantie qu’il assure.

        Dans la seconde affaire, une revue s'employant à défendre les intérêts des petites et moyennes entreprises du commerce de détail s'était vu condamner pour une publication mettant en cause un club de vente par correspondance de produits cosmétiques.  Le cas donna l'occasion à la Cour de se prononcer plus nettement encore sur l'applicabilité de l'article 10 au discours commercial:

        ”L’article s’adressait sans contredit à un cercle limité de commerçants et ne concernait pas directement le public dans son ensemble; cependant, il renfermait des informations de caractère commercial. Or, elles ne sauraient être exclues du domaine de l’article 10, § 1, lequel ne s’applique pas seulement à certaines catégories de renseignements, d’idées ou de modes d’expression.

        La publicité politique bénéficie également des principes de la liberté d’expression.

9.        Ce n'est pas seulement le discours publicitaire qui est protégé par la liberté d'expression.  Même un discours aussi peu teinté idéologiquement que de la diffusion de musique légère bénéficie de la protection de l'article 10.  C'est ce qu'a eu l'occasion de rappeler la Cour dans son arrêt Groppera du 28 mars 1990, un litige opposant à la Suisse une société émettant au départ du territoire italien un programme de radio commerciale à destination de la Suisse et notamment des réseaux câblés de la région de Zurich :

        "La diffusion de programmes par voie hertzienne ainsi que leur retransmission par câble relèvent du droit consacré par les deux premières phrases de l'article 10, § 1, sans qu'il faille distinguer selon le contenu des programmes.".

10.        A l’opposé de la musique légère, les discours plus radicaux bénéficient également de la liberté d’expression. Dans l'arrêt Handyside, la Cour a donné de la portée du principe une acception extrêmement large. Il était question de la distribution, au début des années 70, d’un “Petit livre rouge à l’usage des écoliers”, mettant à disposition des adolescents un certain nombre d’informations, notamment relatives à la sexualité:

        "La liberté d'expression vaut non seulement pour les "informations" ou les "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de “société démocratique”.".

11.        Faut-il pour autant considérer que la liberté d'expression est vraiment absolue ?  Doit-elle vraiment couvrir tous les discours, y compris par exemple les discours racistes ou révisionnistes que de nombreuses législations internes sanctionnent ?  Il y a d'abord lieu, de façon générale, de rappeler que l'article 17 de la Convention européenne des Droits de l'Homme interdit l'abus de droit: "Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention".

Avec ou sans recours explicite à l’article 17, diverses affaires récentes ont permis à la Cour de se prononcer sur ces domaines éminemment sensibles que sont le racisme et le révisionnisme.

12.        La première affaire, l'affaire Jersild, posait le problème d'un recours introduit contre l'Etat danois par un journaliste de la radio publique qui avait été condamné pour avoir, dans un reportage consacré à des skinheads, laissé ceux-ci exprimer leurs idées racistes sans les censurer et sans même en exprimer de critiques suffisamment explicites.  On reviendra plus loin sur l'appréciation que la Cour a faite de ce rôle du journaliste.  Toutefois, dès à présent, il convient de citer un attendu qui, pour n'être pas un motif déterminant de la décision, n'en a pas moins valeur de principe : « Il importe au plus haut point de lutter contre la discrimination raciale sous toutes ses formes et manifestations. (...) Nul doute que les remarques (...) étaient plus qu’insultantes pour les membres des groupes visés et ne bénéficiaient pas de la protection de l’article 10. » 

13.        Dans son arrêt Lehideux et Isorni du 23 septembre 1998, la Cour a été amenée à se prononcer sur une affaire délicate : les deux requérants avaient en effet été condamné par la justice française pour avoir fait publier dans Le Monde un encart publicitaire appelant à la réhabilitation du Maréchal Pétain.  Il avait été reproché au requérant d'une part d'avoir essayé de justifier les décisions du Maréchal Pétain et d'autre part d'avoir omis de mentionner certains faits historiques essentiels.

        Sur la thèse du double jeu prétendument joué par Pétain (c'est-à-dire une collaboration avec les Allemands pour préparer une libération de la France) la Cour estime "qu'il ne lui revient pas d'arbitrer cette question, qui relève d'un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l'interprétation des événements dont il s'agit.  A ce titre, elle échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis - tel l'Holocauste - dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l'article 17 à la protection de l'article 10" ; la Cour souligne aussi qu'en l'espèce, les requérants n'avaient pas voulu nier ou réviser les atrocités et persécutions nazies, puisqu'ils les avaient d'ailleurs eux-mêmes évoquées dans le texte litigieux.

        Par ailleurs, la Cour rappelle que les événements évoqués dans la publication contestée se sont produits plus de 40 ans avant celle-ci et souligne : "Même si des propos tels que ceux des requérants sont toujours de nature à ranimer la controverse et à raviver des souffrances dans la population, le recul du temps entraîne qu'il ne conviendrait pas, 40 ans après, de leur appliquer la même sévérité que 10 ou 20 ans auparavant.  Cela participe des efforts que tout pays est appelé à fournir pour débattre ouvertement et sereinement de sa propre histoire.  Il y a lieu de rappeler à cet égard que, sous réserve du § 2 de l'article 10, la liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique".  C'est la motivation de l'arrêt Handyside que l'on retrouve ainsi.

        Constatant encore que l'association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain, dont les requérants étaient les animateurs, était légalement constituée et n'avait jamais fait l'objet de poursuites en rapport avec la mise en oeuvre de son objet social, et soulignant la gravité d'une condamnation pénale telle que celle qui avait été infligée aux requérants pour apologie des crimes ou délits de collaboration, eu égard à l'existence d'autres moyens d'intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civil, la Cour conclut à la violation de l'article 10 en considérant que la condamnation était disproportionnée.

14.        Dans le même sens, on retiendra une décision d’irrecevabilité opposée au recours introduit par un dirigeant néo-nazi autrichien condamné dans son pays à huit ans d’emprisonnement pour violation d’une loi interdisant le parti national socialiste.  Dans cette affaire, le recours fondé sur l’article 10 fut jugé irrecevable, la Cour considérant que « les activités impliquant l’expression d’idées nationales socialistes sont interdites par le droit autrichien, ce qui, à la lumière du passé historique qui forme la genèse de la Convention elle-même, peut se justifier comme étant nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à l’intégrité territoriale ainsi qu’à la prévention du crime ».  La Cour rappela à cet égard que « le national-socialisme est une doctrine totalitaire incompatible avec la démocratie et les droits de l’homme, et ses partisans se livrent donc à des activités visant des objectifs tels que ceux invoqués à l’article 17 » et conclut dès lors au caractère nécessaire dans une société démocratique de la condamnation du requérant.

Communiquer comment?

15.        La portée de l'article 10 est extrêmement large.  Dans l’affaire Autronic déjà citée, la Cour a souligné que « L’article 10 concerne non seulement le contenu des informations, mais aussi les moyens de transmission ou de captage, car toute restriction apportée à ceux-ci touche le droit de recevoir et communiquer des informations »

        Il s'agissait ici, rappelons-le, de la commercialisation d'antennes paraboliques permettant de recevoir les programmes d'un satellite de radiodiffusion.

16.        La question du contexte dans lequel sont tenu les propos litigieux apparaît souvent déterminante.  Ainsi, dans l’affaire Janowski, la Cour eut à connaître du cas d’un journaliste polonais qui s’était vu condamner à huit mois d’emprisonnement avec sursis (peine non confirmée ensuite) et à une lourde amende pour avoir traité deux agents de police de « goujats » et d’ « idiots ».  Ces injures avaient toutefois été proférées non pas dans le cadre de l’exercice des fonctions de journaliste du requérant, mais lors d’une altercation sur une place publique.  La Cour constata à cet égard que ces termes « ne faisaient pas partie d’un débat ouvert concernant des questions d’intérêt général et ne mettaient pas non plus en cause la liberté de presse puisque l’intéressé, certes journaliste de son état, a manifestement agi à cette occasion en tant que particulier » et considéra qu’il n’y avait pas eu de violation de l’article 10.

17.        Il faut encore souligner que la liberté d'expression protège non seulement les idées mais aussi la façon de les exprimer, fût-ce avec un certain degré d'exagération.  C'est notamment ce qu'a jugé la Cour dans l'affaire De Haes et Gijsels, à l'occasion de laquelle deux journalistes de l'hebdomadaire Humo ont fait constater par la Cour que la Belgique avait violé l'article 10 de la Convention en les condamnant pour des propos qu'ils avaient tenu à l'égard de magistrats anversois dans le cadre de l'affaire dite du notaire X, un notaire accusé de pédophilie mais finalement mis hors cause faute d'éléments probants.  Les journalistes d'Humo avaient critiqué de façon extrêmement virulente la décision des magistrats concernant le notaire X ainsi que les magistrats eux-mêmes, mais la Cour souligna que « la liberté journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire même de provocation ».

18.        Cette possibilité d’exagération peut également être reconnue à des non-journalistes.  Ainsi, dans une affaire où deux policiers s’étaient vu reprocher des déclarations dans la presse jugées diffamatoires à l’égard d’universitaires qui avaient mené des recherches sur la brutalité policière, la Cour a jugé que « s’il ne peut faire aucun doute que toute restriction mise au droit de communiquer et de recevoir des informations concernant des allégations défendables d’abus policiers appellent à un examen attentif de la part de la Cour, il doit en aller de même des propos tendant à réfuter pareilles allégations dès lors qu’ils font partie du même débat.  Tel est spécialement le cas lorsque, comme en l’espèce, les déclarations en cause ont été formulées par des représentants élus d’associations professionnelles en réponse à des allégations jetant le discrédit sur les pratiques et l’intégrité de la profession. (…). Vu le contexte – il s’agissait d’un débat public passionné et soutenu relatif à des questions d’intérêt général et/ou de part et d’autre, des réputations professionnelles étaient en jeu – une certaine exagération devait être tolérée ».

c) Liberté de réception

19.        Tout comme la liberté de communiquer, la liberté de réception est une liberté franchise et non une liberté créance.  Si elle est garantie à chacun, elle ne suppose au départ que la liberté de recevoir les informations qui sont communiquées préalablement par des tiers.

        Certes, les constituants tendent de plus en plus souvent à reconnaître dans certains domaines un droit subjectif à recevoir certaines informations.  On en trouve un exemple dans l'article 32 de la Constitution belge, qui ouvre à chacun le droit de consulter chaque document administratif ou de s'en faire remettre copie.  On peut penser également aux diverses législations visant à garantir l'information du consommateur sur un certain nombre de produits.

        Semblablement, dans son arrêt Guerra du 19 février 1998, la Cour européenne des Droits de l'Homme a considéré que les citoyens avaient le droit de recevoir un certain nombre d'informations concernant leur environnement, non pas sur base de l'article 10 mais sur base de l'article 8 qui garantit le respect de la vie privée, droit dont la Cour infère une obligation positive des autorités de prendre des mesures de protection de cette vie privée et familiale.

        Ceci dit, on ne peut déduire de ce droit à recevoir un certain nombre d'informations un prétendu droit de savoir, dont se revendiquent d'ailleurs plus souvent les journalistes en quête de sensationnalisme que les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs.  Le public n'a aucun droit de savoir des faits qui ressortissent à la vie privée des individus, et les journalistes n'ont aucun droit

d'informer leur public sur ces faits.

I.1.1.2. Exceptions au principe

a) Régimes d’autorisation et monopoles

« Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. »

20.        En principe, la liberté d'expression suppose que chacun puisse communiquer et recevoir des informations sans ingérence d'autorité publique.  Toutefois, dès l'adoption de l'article 10, une réserve a été introduite à la fin du premier paragraphe en ce qui concerne les entreprises de cinéma, de radio et de télévision.

        En ce qui concerne le cinéma, il est manifeste que l'on n'envisage plus aujourd'hui de subordonner à autorisation l'ouverture d'une salle de cinéma.  Par contre, des législations subsistent qui subordonnent l'accès aux salles de cinéma à certaines conditions, et notamment à des conditions d'âge.  Ainsi, en Belgique, de la loi du 1er septembre 1920 interdit l'entrée des salles de spectacle cinématographique aux mineurs âgés de moins de 16 ans (cfr infra). 

        Par contre, les entreprises de radio et de télévision restent aujourd'hui soumises à un régime d'autorisation dans tous les Etats démocratiques.  Ce régime est généralement justifié par des motifs techniques, sociologiques et économiques.

Raisons techniques. 

21.        La communication audiovisuelle se meut dans un état de pénurie, ce qui la différencie fondamentalement de la communication écrite, qui ne pourrait éventuellement se trouver limitée que par les disponibilités de papier. Sauf à laisser les lois de la force et de l'argent s'imposer à l'instar par exemple de la situation qui prévalut en Italie de 1974 à 1990, c'est à l'autorité de régulation qu'il appartient généralement de gérer cette pénurie.

        La limitation des fréquences hertziennes disponibles a longtemps été invoquée pour justifier le monopole public sur l'audiovisuel, même si l'expérience a prouvé ensuite que, même dans le cadre restreint des fréquences disponibles, une place pouvait être laissée au secteur privé. Assurément, le développement actuel de la télévision par câble et de la télévision par satellite ainsi que l'essor de la transmission numérique viennent relativiser aujourd'hui ce phénomène de rareté. Il serait toutefois erroné de penser que ces progrès technologiques permettent un essor sans limites de la communication audiovisuelle.

        Les réseaux câblés, surtout s'ils procèdent d'une conception ancienne ne peuvent transmettre qu'un nombre limité de programmes: ainsi, en Belgique où les réseaux diffusent entre vingt et trente programmes, la majorité des installations, faute d'entreprendre d’importants travaux de modernisation, invoquent la saturation. Semblablement, la transmission par satellite est également tributaire du nombre de satellites se trouvant dans l'orbite adéquate, du nombre de répéteurs disponibles sur ces satellites ou du nombre d’antennes paraboliques possédées par les téléspectateurs. Certes, de nouveaux développements technologiques donnent à penser que la communication audiovisuelle pourra bientôt se mouvoir dans un cadre de moins en moins limité, mais il risque de subsister toujours des goulets d’étranglement à l’arrivée. Dans ce contexte, dans l’état actuel du droit, la gestion du cadre technique reste encore une prérogative essentielle des instances de régulation.

Raisons sociologiques.

22.        C'est un truisme de le constater: l'audiovisuel touche un public plus large que l'écrit. De plus, il a si longtemps fonctionné en régime de monopole public que l'information qu'il diffuse garde, aujourd'hui encore, un caractère semi-officiel et, partant, une crédibilité dont ne jouissent pas les journaux. Enfin, l'audiovisuel se consomme passivement -une simple pression d'un bouton suffit- et sans déplacement -il est installé une fois pour toutes dans les foyers-, alors que la presse écrite requiert de son lecteur un comportement actif (déplacement, achat, lecture attentive...).

        La combinaison de ces facteurs donne à l'audiovisuel un poids tel que son contenu doit être plus strictement réglementé que celui de la presse écrite. Mais, avant même de contrôler son contenu, les autorités publiques contrôlent déjà l'audiovisuel en en limitant l'utilisation: les considérations sociologiques fondent alors les restrictions posées dans l'accès à la communication audiovisuelle.

        Dans son arrêt Jersild déjà cité, la Cour a d'ailleurs eu l'occasion d'insister sur cette question de l'impact des médias audiovisuels : «S'agissant des "devoirs et responsabilités" d'un journaliste, l'impact potentiel du moyen concerné revêt de l'importance et l'on s'accorde à dire que les médias audiovisuels ont des effets souvent beaucoup plus immédiats et puissants que la presse écrite. Par les images, les médias audiovisuels peuvent transmettre des messages que l'écrit n'est pas apte à faire passer ».

        La Cour a d'ailleurs eu également l'occasion de se prononcer sur les spécificités de la vidéo et sa circulation aisée.  Il s'agissait cette fois d'une contestation portée devant la Cour d'un refus de la Commission britannique compétente pour accorder les visas d'exploitation aux vidéos de délivrer un visa d'exploitation, même réduit au sex shops, pour une cassette intitulée « Visions of Ecstasy » contant les (supposés) émois troublés de Sainte Thérèse d'Avila face au Christ : « Il est de la nature des oeuvre vidéo d’être, une fois sur le marché, susceptibles d’être copiées, prêtées, louées, vendues et vues dans différents foyers et d’échapper par là à toute forme de contrôle par les autorités. »

Raisons économiques. 

23.        Même quand des solutions sont trouvées aux problèmes techniques qui inscrivent l'audiovisuel dans une économie de pénurie, la rareté naît encore de facteurs économiques. Les coûts des installations techniques sont tels que seule une très petite minorité de la population peut se permettre de communiquer ses idées par la voie de l'audiovisuel. Les coûts de production des programmes, ensuite, constituent un handicap sérieux à l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle, particulièrement sur les marchés de taille restreinte: la télévision n'est pas moins chère à faire selon qu'elle s'adresse à trois ou trente millions de personnes.

        Enfin, dès lors que le financement public, de plus en plus marginal dans l'économie générale de l'audiovisuel, est réservé aux chaînes publiques, les opérateurs privés doivent vivre en tirant leurs ressources de marchés qui ne sont pas indéfiniment extensibles: celui de la publicité d'une part, celui de la demande des spectateurs (pour les télévisions payantes) d'autre part.

Monopoles

24.        Lors de l'adoption de la Convention européenne des Droits de l'Homme, il va de soi que la plupart des Etats signataires connaissaient un régime de monopole public de l'audiovisuel.  Aujourd'hui, ces monopoles ont disparu, et il ne fait pas de doute que l'évolution de la jurisprudence de la Commission puis de la Cour a contribué à cette disparition.  

        Ainsi, en 1990, l’arrêt Groppera aura été déterminant en ce qu'il aura établi un rapport entre la dernière phrase du § 1er de l'article 10 et les conditions contenues dans le § 2 : « L’insertion de la clause litigieuse, à un stade avancé des travaux préparatoires, s’inspirait manifestement de préoccupations techniques ou pratiques, comme le nombre réduit des fréquences disponibles et les investissements importants à consacrer à la construction des émetteurs. Elle traduisait aussi un souci politique de plusieurs Etats: réserver à la puissance publique l’activité de radiodiffusion. Depuis lors, l’évolution des conceptions et le progrès technique, en particulier l’apparition de la transmission par câble, ont entraîné dans de nombreux pays d’Europe l’abolition des monopoles étatiques et la création, en sus des chaînes publiques, de radios privées, souvent locales. (...) L’objet et le but de la troisième phrase de l’article 10 § 1, ainsi que son champ d’application, doivent toutefois s’envisager dans le contexte de l’article pris dans son ensemble et notamment au regard des exigences du paragraphe 2. »

25.        Sur cette base fin 1993, la Cour en arrive au constat que le monopole n'a plus de raison d'être ou, plus précisément, qu'il constitue une mesure disproportionnée au regard des fins poursuivies par un régime d'autorisation.  Certes, elle rappelle que les Etats restent libres de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations: non seulement pour des raisons techniques, mais aussi pour des considérations «qui concernent la nature et les objectifs d'une future station, ses possibilités d'insertion au niveau national, régional ou local, les droits et besoins d'un public donné ainsi que les obligations issues d'instruments juridiques internationaux». Ces diverses motivations témoignent à suffisance de ce que le régime d'autorisation poursuit un des buts visés à l'alinéa 2. Mais, ajoute la Cour,  «Pareille entreprise ne saurait réussir si elle ne se fonde sur le pluralisme, dont l'Etat est l'ultime garant. La remarque vaut spécialement pour les médias audiovisuels, car leurs programmes se diffusent souvent à très grande échelle.». Le monopole est le système qui «impose les restrictions les plus fortes à la liberté d'expression (...) Eu égard à leur radicalité, elles ne sauraient se justifier qu'en cas de nécessité impérieuse. (...)Grâce aux progrès techniques des dernières décennies, lesdites restrictions ne peuvent plus aujourd'hui se fonder sur des considérations liées au nombre des fréquences et des canaux disponibles; (...) on ne saurait alléguer l'absence de solutions équivalentes moins contraignantes; à titre d'exemple, il n'est que de citer la pratique de certains pays consistant soit à assortir les licences de cahiers de charge au contenu modulables, soit à prévoir des formes de participation privée à l'activité de l'institut national.»

        L'argument pris de la taille restreinte du marché est “démenti par l'expérience de plusieurs Etats de dimension comparable à celle de l'Autriche, où la coexistence de stations publiques et privées, organisée selon des modalités variables et assortie de mesures faisant échec à des positions monopolistiques privées, rend vaines les craintes exprimées».

26.        L’exclusion du monopole au regard des évolutions techniques actuelles n’exclut toutefois pas qu’un monopole soit réservé à une télévision publique pour l’usage des fréquences hertziennes.  Ainsi, dans une affaire autrichienne où une société candidate à l’exploitation d’une télévision privée se plaignait de ce que la législation de ce pays ne permettait la diffusion de télévisions privées que par câble ou par satellite, la Cour a jugé que « l’ingérence dans le droit du requérant à communiquer des informations telles qu’elle résulte de l’impossibilité d’obtenir une autorisation pour une diffusion hertzienne ne peut être considérée comme disproportionnée aux buts poursuivis par la loi constitutionnelle sur l’audiovisuel, à savoir l’impartialité, l’objectivité et le pluralisme tels qu’ils sont garantis par une chaîne nationale ».

b) Ingérences

« Art. 10, 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

27.        La notion d’ingérence peut prendre des formes très diverses. L’ingérence peut être active, lorsque l’Etat censure un exercice de la liberté de communication ou lorsqu’il saisit une publication.  L’ingérence peut également être passive lorsque, par exemple, l’Etat refuse la délivrance d’une autorisation permettant l’exercice d’une activité de communication. 

28.        L’ingérence peut émaner du gouvernement lui-même tout comme elle peut émaner du pouvoir judiciaire : tel sera d’ailleurs le cas le plus souvent lorsque l’ingérence consistera en une condamnation prononcée dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression.  Elle peut même être causée par un monarque, comme l’a rappelé l’arrêt Wille déjà cité : « la responsabilité d’un Etat au titre de la Convention peut être engagée pour les actes de tous ses organes, agents et fonctionnaires. Comme c’est généralement le cas en droit international, le rang de ceux-ci importe peu, puisque les actes des personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles sont en tout état de cause imputés à l’Etat. En particulier, les obligations qui incombent à l’Etat en vertu de la Convention peuvent être violées par toute personne exerçant une fonction officielle qui lui a été confiée ».

        L’ingérence peut également émaner d’une personne privée sans pour autant échapper au contrôle de la Cour européenne des Droits de l’homme.  Ainsi, dans l’affaire Fuentes Bobo, un employé de la télévision publique TVE avait été licencié pour des propos considérés comme exagérément critiques à l’égard des dirigeants de la télévision publique espagnole.  Au gouvernement espagnol qui soutenait que pareille ingérence émanait d’une personne privée et qu’il n’en était dès lors pas responsable, la Cour rappelle que « l’article 10 s’impose non seulement dans les relations entre employeurs et employés lorsque celles-ci obéissent au droit public mais peut également s’appliquer lorsque ces relations relèvent du droit privé ».

        Il peut aussi y avoir ingérence lorsque, tout simplement, le droit interne de l’état concerné légitime le traitement dont se plaint le requérant.

29.        Enfin, il est essentiel de souligner que l’ingérence dans la liberté d’expression peut également naître de l’incapacité d’un Etat à assurer aux citoyens les conditions d’exercice de cette liberté.  Certes, en principe, l'article 10 doit s'analyser comme une faculté laissée aux citoyens, mais non comme une créance dont il disposerait sur les pouvoirs publics.  La Commission européenne des Droits de l'Homme a eu ainsi l'occasion de souligner que « Il est évident que le droit de communiquer des informations ou des idées inclus dans le droit de liberté d'expression à l'article 10 de la Convention, ne peut être entendu comme comprenant un droit général et illimité de chaque personne ou organisation privée d'avoir accès à un temps d'antenne à la radio et à la télévision pour faire valoir son opinion. » 

        Toutefois, dans l’affaire Ozgür Gündem la Cour a pu souligner l’existence d’une obligation positive dans le chef des Etats : « si de nombreuses dispositions de la Convention ont essentiellement pour objet de protéger l’individu contre toute ingérence arbitraire des autorités publiques, il peut en outre exister des obligations positives inhérentes à un respect effectif des droits concernés ».  Dans cette affaire, où le gouvernement turc était manifestement resté en défaut d’assurer à un journal et à ses journalistes la protection requise, la Cour a conclu que le gouvernement avait manqué à son obligation positive de préserver le droit à la liberté d’expression de ce journal.

30.        C'est en effet que l'article 10, comme nombre d'autres articles de la Convention garantissant des droits et des libertés, s'articule en deux parties : une première partie qui affirme le principe, et une autre partie qui en pose les limites.  En l'occurrence, le § 2 de l'article 10 organise les conditions dans lesquelles les Etats peuvent soumettre l'exercice de la liberté d'expression à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions.  Trois conditions devront être remplies : la poursuite d'un des buts légitimes visés au § 2, la légalité des mesures en question et, enfin et surtout, la proportionnalité, c'est-à-dire le caractère nécessaire dans une société démocratique de la mesure restrictive pour parvenir à la fin légitime.

Finalité légitime

31.        Le plus souvent, la Cour conclura que la mesure visée poursuit bien un des buts légitimes inscrits au § 2.  Il est vrai que la liste de ces buts légitimes est extrêmement large et que, par ailleurs, la Cour en fait une interprétation assez extensive.  Ainsi par exemple, dans l'arrêt Groppera déjà cité, elle a jugé que la défense de l'ordre des télécommunications fait partie de la défense de l'ordre au sens du § 2.  Elle a également considéré que procède de la protection des droits d'autrui le fait "d'assurer le pluralisme, notamment de l'information, et de permettre une répartition équitable des fréquences aux niveaux international et national".

Légalité et prévisibilité

32.        Le plus souvent également, la Cour arrive à la conclusion que la mesure contestée est bel et bien prévue par la loi.  S'agissant du Royaume-Uni, Etat dont la tradition de droit écrite est assez restreinte, la Cour a pu ainsi juger que “Le terme “loi” englobe à la fois le statute law et la common law”.

33.        De même, dans une autre affaire mettant en cause le Royaume-Uni, la Cour a rappelé que la prévisibilité de la loi n'empêchait pas une certaine indétermination.  Le recours examiné ici par la Commission avait été introduit par un citoyen britannique d'origine russe, le comte Tolstoy Miloslavsky, condamné par la justice britannique à de très sévères dommages et intérêts (90 millions de francs belges, soit trois fois la plus haute somme jamais allouée auparavant par un jury anglais en matière de diffamation), suite à un pamphlet qu'il avait publié et qui mettait en cause le rôle joué pendant la guerre par un Lord britannique devenu entre-temps directeur d'un Collège huppé :  « On ne saurait considérer que les termes “prévues par la loi” figurant à l’article 10 exigeaient que le requérant, même avec les conseils juridiques appropriés, pût prévoir avec un quelconque degré de certitude le quantum des dommages-intérêts auquel il risquait d’être condamné dans ce cas précis. »

34.        Du côté belge, on s'intéressera tout particulièrement à un considérant de la décision rendue par la Commission européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire De Haes et Gijsels déjà citée.  La question avait en effet été soulevée devant la Commission de savoir si les articles 1382 et 1383 du Code civil belge, sur lesquels se fondent un grand nombre de condamnations civiles de journalistes, pouvaient être considérés comme suffisamment prévisibles nonobstant leur caractère général.  

La Commission a considéré de ce point de vue que :         « La condamnation des requérants se fondait sans conteste sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, tels qu'interprétés par la doctrine et la jurisprudence belges, par référence, entre autres, aux articles du Code pénal réprimant les atteintes portées à l'honneur et à la considération des personnes. Quant aux incertitudes liées à la mise en oeuvre, en l'espèce, des dispositions légales en cause, elles ne dépassaient pas celles auxquelles les requérants pouvaient s'attendre, en s'entourant au besoin de conseils éclairés. De l'avis de la Commission, les modalités de l'ingérence litigieuse offraient donc la prévisibilité voulue par le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention ».

        Dans l'arrêt qui a suivi, la Cour n'a plus eu à se prononcer sur cette question, les requérants ayant souscrits à la thèse de la Commission. Elle a toutefois confirmé la prévisibilité de l’article 1382 du code civil luxembourgeois – équivalent de la même disposition du code civil belge – dans son arrêt Thoma.

Proportionnalité

35-49.        C'est au stade de l'appréciation du critère de proportionnalité que se fera le plus souvent le travail de la Cour en matière d'évaluation de la conformité à l’article 10 d'une mesure restrictive de la liberté d'expression.  Il s'agit forcément d'une appréciation qui se fera au cas par cas, chaque recours étant l'occasion d'un examen concret par la Cour de ce critère de proportionnalité.  On envisagera ci-après la jurisprudence de la Cour à travers quelques thématiques bien particulières, tout en rappelant préalablement un principe général régulièrement rappelé par la Cour : « La liberté d’expression consacrée par le paragraphe 1 de l’article 10 constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. »

        La Cour a elle-même fixé et rappelé à plusieurs reprises les principes qui la guident dans son appréciation du critère de proportionnalité :

        « Dune manière générale, la « nécessité » dune quelconque restriction à lexercice de la liberté dexpression doit se trouver établie de manière convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités nationales dévaluer sil existe un « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction, exercice pour lequel elles bénéficient dune certaine marge dappréciation. Lorsquil y va de la presse, comme en lespèce, le pouvoir dappréciation national se heurte à lintérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. De même, il convient daccorder un grand poids à cet intérêt lorsquil sagit de déterminer, comme lexige le paragraphe 2 de larticle 10, si la restriction était proportionnée au but légitime poursuivi.

        La Cour na point pour tâche, lorsquelle exerce ce contrôle, de se substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous langle de larticle 10 les décisions quelles ont rendues en vertu de leur pouvoir dappréciation. Pour cela, la Cour doit considérer l« ingérence » litigieuse à la lumière de lensemble de laffaire pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » »

I.1.2. La liberté d’expression en droit belge

50.        Quel est dans la Constitution belge le fondement de la liberté d'expression ?  Deux textes peuvent être invoqués : l'un, de portée générale, applicable à toutes les formes d'expression - l'article 19 - et l'autre, de portée plus restreinte, applicable à la seule presse écrite - l'article 25-.

I.1.2.1. Article 19 

        « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. »

a) Principe

51.        Comme la plupart des autres libertés garanties par la Constitution belge, l'article 19 (anciennement article 14) s'inscrit dans un régime répressif d'exercice des libertés.  Les libertés sont reconnues par principe, mais chacun sera responsable des abus commis à l'occasion de l'exercice de ces libertés.

        La portée de l'article 19 est extrêmement large.  La jurisprudence a ainsi considéré à-propos de la notion d'opinion que : «une injure blessante ou une imputation d'ordre général et imprécis peut néanmoins contenir une appréciation ou être l'expression d'une opinion».

        Il a également été jugé que «Des sous-entendus et allégations de nature à faire soupçonner les personnes visées de vilenie, de malhonnêteté ou de duplicité dans (leur) comportement et [leurs actions contiennent l'expression d'une pensée ou d'une opinion]”

b) Subsidiarité

52.        L'article 19 doit bien se comprendre comme une disposition cadre et générale qui s'effacera, le cas échéant, devant des dispositions plus précises telles que l'article 25.  Lors de son adoption, un des membres du Congrès national a ainsi relevé :

        "Vous avez déclaré en général que la manifestation des opinions en toute matière est garantie, qu'elle ne peut être sujette à des mesures préventives, que notre système pénal ne peut être que répressif. Vous avez pensé que cette déclaration ne suffisait point et qu'il était nécessaire d'organiser le principe dans ses rapports avec les différents modes d'après lesquels les opinions peuvent se manifester. Vous avez donc consacré des articles particuliers au culte, à l'enseignement, à la presse et au droit d'association."

c) Limites

53.        Dans l'état actuel de la jurisprudence, l'appréciation de la liberté d'opinion telle que consacrée par l'article 19 de la Constitution belge semble aller un petit peu moins loin que la liberté d'expression telle que consacrée par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.  Ainsi en matière de publicité, la Cour de Cassation a jugé que :

        “Attendu que si l'article 14 de la Constitution garantit, comme l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la libre manifestation des opinions en toute matière et, dès lors, ne permet point à l'autorité de subordonner l'exercice de cette liberté à un contrôle préalable des opinions, en revanche, ces dispositions ne reconnaissent pas cette liberté de façon illimitée et, notamment, ne s'opposent pas à la réglementation, voire l'interdiction, de publicité commerciale dans les émissions de télédistribution, lorsque cette réglementation ou cette interdiction sont compatibles avec les exigences du droit supranational."

        Toutefois, il faut constater que cet arrêt date déjà de 1981 : il est probable que, si la Cour de Cassation devait se prononcer à nouveau, elle aboutirait peut-être à une conclusion contraire, soit en fonction de l'évolution du temps, soit en fonction de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme.

54.        Par ailleurs, la distinction qu'il convient de faire entre liberté franchise et liberté créance s'applique également du point de vue du droit constitutionnel belge : c'est ainsi qu'il a été jugé que:

        "Les tribunaux ne se sont jamais arrogé le droit d'affirmer que les articles 6 et 14 de la Constitution signifient l'obligation de garantir à chaque citoyen des moyens financiers égaux et suffisants pour leur permettre d'accéder aux modes de communications les plus coûteux pour assurer la diffusion de leurs idées"

I.1.2.2. Article 25 

        « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs.

        Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. »

a) Cadre général

55.        L'article 25 (anciennement article 18) de la Constitution est un article essentiel puisqu'il offre d'importantes garanties à l'exercice de la liberté de presse.  Il est  indissociable des articles 150 et 148 alinéa 2 : le premier consacre la compétence exclusive du jury pour statuer sur les délits de presse, à l'exclusion des délits de presse inspirés par le racisme et la xénophobie, et le deuxième limite très sérieusement l'hypothèse du huis-clos en matière du procès de presse.

        On reviendra plus loin sur la notion, centrale, de délit de presse.

b) Champ d’application

56.        Une controverse importante subsiste quant à l'applicabilité des articles 25 et 150 de la Constitution à l'audiovisuel.  Dans l'état actuel des choses, la jurisprudence dominante conclu que l'audiovisuel ne constitue pas de la presse au sens de ces articles et que, dès lors, l'impunité pénale ne peut profiter aux journalistes de l'audiovisuel.

        Cette solution tient notamment au texte de la Constitution (en néerlandais, le mot presse est traduit par drukpers) mais aussi à une jurisprudence qui, pour être hésitante et parfois contradictoire, n'en reste pas moins dominée par un arrêt de la Cour de Cassation du 9 décembre 1981.  On trouvera ci-après les principaux jalons jurisprudentiels en la matière, et l'on constatera notamment les positions parfois antagonistes de la Cour d'appel de Bruxelles.

        (1978) "Le terme "presse" ne doit pas être entendu de manière extensive, toute diffusion de la pensée par radio ou par télévision ne devant pas y être automatiquement assimilée"

        (1980) "Le délit de presse exige comme élément constitutif qu'une opinion soit émise dans un écrit imprimé (...); le constituant ne peut avoir voulu inclure la radiodiffusion dans la notion de presse au sens de l'article 98 de la Constitution."

        (1981) "Attendu que ni la radiodiffusion ni les émissions de télévision ou de télédistribution ne sont des modes d'expression par des écrits imprimés; que l'article 18 de la Constitution leur est donc étranger."

        (1985)"Interpréter aujourd'hui le concept de "presse" au sens littéral constituerait une méconnaissance de l'esprit du constituant; (...) le constituant a voulu protéger la libre manifestation des opinions et pas l'instrument de celle-ci, la presse en tant que telle; (...) les dispositions constitutionnelles sur la presse sont applicables à l'émission de TV incriminée, laquelle est un moyen technique, inconnu en ce temps là, d'"imprimer" et de diffuser la presse."

        (1985) "Une partie des faits imputés au prévenu (...) notamment ceux qui concernent un passage du livre "De Nieuwe Orde", paraissent constituer un délit de presse et ces faits paraissent connexes avec d'autres faits de la prévention".

        (1992) «La radio et la télévision peuvent et doivent être considérées, au même titre que la presse écrite, comme des supports, des instruments de la liberté de manifester ses opinions et de diffuser ses idées [et] doivent dès lors être englobées dans le concept de "presse" visé à l'article 18 de la Constitution.»

        (1993) “Dès lors qu'elles sont devenues des moyens habituels de transmission des informations, des images et des opinions, il y a lieu d'appliquer aux émissions radiophoniques ou télévisées les articles 14, 18 et 98 de la Constitution dont la ratio legis est de garantir une liberté de presse aussi large que possible.”

        (1994) «En l'état actuel de la jurisprudence au plus haut degré, le régime de la radio et de la télévision n'est pas déterminé par les articles 18 et 98 de la Constitution».

56bis.        Selon la Cour de cassation, « Les délits de presse sont des délits qui portent atteinte aux droits de la société ou des citoyens, commis en exprimant abusivement des opinions dans des écrits imprimés et publiés ».

        Quatre éléments constitutifs doivent donc être réunis pour qu’il y ait délit de presse :

  • un délit ;
  • l’expression d’une opinion ;
  • un écrit imprimé, reproduit à plusieurs exemplaires ;
  • une volonté de publicité.

c) Notion de censure

56 ter.        Si la première et la troisième partie du premier alinéa de l’article 25 se comprennent assez facilement, notamment eu égard aux pratiques de l’ancien régime, la deuxième phrase fait, de nos jours encore, couler beaucoup d’encre. La question est régulièrement posée de savoir ce que signifie le terme censure tel que prohibé par la disposition constitutionnelle.

Les travaux préparatoires de l’assemblée constituante n’apportent malheureusement aucune précision à cet égard. On peut donc être tenté de se référer au sens commun, c’est-à-dire comprendre la censure comme un contrôle exercé de façon préalable et systématique par une autorité exécutive sur un média.  Tel était le fonctionnement de la censure sous l’ancien régime.  

Si l’on prend cette acception, il y a lieu de considérer qu’une interdiction de publication qui serait ordonnée par un juge dans le cadre d’un litige entre deux particuliers ne constituerait pas un acte de censure. Telle n’est toutefois pas l’interprétation généralement donnée par la jurisprudence.

De nombreux juges ont en effet considéré que la deuxième phrase du 1er alinéa de l’article 25 de la Constitution les empêchait, fût-ce pour régler un litige entre parties, d’interdire la publication d’un écrit. Un récent arrêt de la Cour de cassation est cependant venu quelque peu nuancer cette position.  

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Suivant en cela une partie de la doctrine, la Cour de cassation établit une distinction entre l’interdiction prononcée par un juge de poursuivre la diffusion d’un écrit dont la diffusion a déjà commencé, et l’interdiction qui serait prononcée avant même que la diffusion ne commence.  Dans cette affaire, où le juge des référés, dans une ordonnance confirmée ensuite tant sur tierce opposition qu’en appel, avait ordonné le retrait de la vente de tous les exemplaires de l’hebdomadaire Ciné Revue comprenant la reproduction des notes confisquées à la juge Doutrewe par le Président de la Commission d’enquête parlementaire sur les ...

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