« La première chose que je dirai, c’est que je n’ai jamais, pour ma part, employé le mot de structure. Cherchez-le dans Les Mots et les Choses, vous ne le trouverez pas. Alors j’aimerai que toutes les facilités sur le structuralisme me soient épargnées, ou qu’on prenne la peine de les justifier. De plus : je n’ai pas dit que l’auteur n’existait pas; je ne l’ai pas dit et je suis étonné que mon discours ait pu prêter à un pareil contresens. »
En effet, ce serait un contresens pour Foucault de dire que l’auteur n’existe pas puisqu’il attribue à celui-ci le titre de « fonction-auteur. » Pour ce philosophe, il y a quatre traits caractéristiques à la fonction-auteur : d’abord, l’aspect juridique ou institutionnel (sur lequel portera mon travail), ensuite, elle ne s’exerce pas de façon universelle et constante, troisièmement, elle ne se forme pas spontanément comme l’attribution d’un discours à un individu et, finalement, elle peut donner lieu à plusieurs ego, à plusieurs positons-sujets.
L’aspect juridique de la fonction-auteur nécessite une explication. Après avoir rédigé un texte, l’auteur doit consentir à en répondre. Galilée, par exemple, fut condamné à la prison à vie pour « grave suspicion d’hérésie » en 1632 après avoir été averti, en 1616, de ne pas défendre ou enseigner les théories de Copernic. Les Dialogues de Galilée ont été lus et relus à travers le temps et il n’est pas nécessaire de tenir compte de l’existence de l’auteur pour comprendre ses écrits. Malheureusement, c’est cette fonction-auteur qui fit en sorte que Galilée dut renoncer à ses ouvrages. « Les textes, les livres, les discours ont commencé à avoir réellement des auteurs (autres que des personnages mythiques, autres que de grandes figures sacralisées et sacralisantes) dans la mesure où l’auteur pouvait être puni, c’est-à-dire dans la mesure où les discours pouvaient être transgressifs.» Évidemment, les conséquences d’une œuvre ne sont pas strictement et nécessairement négatives. Un auteur se fera de l’argent sur son texte, mais, plus important encore, de son vivant, il en recevra les honneurs. Certains auteurs du Moyen-Âge ont été canonisés pour leurs écrits, je pense particulièrement à saint Thomas D’Aquin et saint Anselme. C’est là un autre exemple de la fonction-auteur d’aspect institutionnel.
Depuis la fin du 18e siècle, un texte est un bien de propriété appartenant à l’auteur. Il y a des droits d’auteur, des droits d’exploitations (copyright), des rapports auteurs-éditeurs. Les règles sont très strictes et en s’y soumettant, l’auteur endosse une fonction-auteur. Ce type de fonction rattaché à un personnage est propre à la littérature. C’est uniquement en ce basant sur des normes aussi sérieuses que l’auteur est responsable des violations et donc peut être tenu coupable pour ses écrits.
En 1989, un auteur perse, Salman Rushdie, a été condamné à mort par des hommes religieux iraniens (Mufti, Sheiks, etc.), notamment Ayatollah Ruhollah Khomeini. D’après celui-ci, Rushdie avait ridiculisé des versets du coran dans son livre « Versets Sataniques. » Ce livre fut interdit dans tous les pays arabes et musulmans. Verser son sang a été légalisé par les religieux. Il a donc évidemment été tenu coupable pour ses écrits et ses transgressions.
Foucault considère donc l’auteur comme une « fonction » et non pas comme un individu « réel. » Contrairement à Barthes, il ne parle pas de la mort de l’auteur, mais tout simplement de l’effacement. L’auteur n’a plus d’importance. Tout ce qui liera dorénavant l’individu « réel » à son œuvre, ce sont les fonctions-auteurs, dont la fonction juridique.
C’est donc cela que Foucault entend par « fonction-auteur. » Nous avons pu voir que « le nom de l’auteur n’est pas un nom propre comme les autres. » En disant que Jérémie St-Truc n’a jamais existé, on ne change rien à l’histoire; mais dire que Noam Chomsky ou Albert Jacquard n’a pas existé, c’est remettre en question une série de détails qui ont trait à leur fonction-auteur. Par exemple, a qui vont les droits d’auteur ? À qui va l’argent rapporté par ses livres ? Si jamais une règle était transgressée, si jamais Chomsky prônait les attentats du 11 septembre dans 11/9 Autopsie des terrorismes (ce qu’il ne fait absolument pas), mais que le nom « Chomsky » n’était qu’un pseudonyme, qui serait jugé ? C’est pourquoi l’on peut dire que l’auteur n’est plus un individu réel, mais une fonction. On voit donc que l’auteur a une importance institutionnelle primordiale. Après l’effacement de l’auteur, la fonction-auteur vient prendre sa place.
Le bruissement de la Langue, ROLAND BARTHES, Paris, Seuil, 1984. p.67
Dits et écrits, Qu’est-ce qu’un auteur, MICHEL FOUCAULT, tome 1, Paris, Gallimard, 1994. p.29
Dits et écrits, Qu’est-ce qu’un auteur, MICHEL FOUCAULT, tome 1, Paris, Gallimard, 1994.
Dits et écrits, Qu’est-ce qu’un auteur, MICHEL FOUCAULT, tome 1, Paris, Gallimard, 1994. p.9