Bernard Manin nous propose ici une théorie de la délibération politique.

Authors Avatar

Benoît HERVE

TD2, Grp 1, Séance 4.

  Bernard Manin nous propose ici une théorie de la délibération politique.

  Il battit son analyse sur un premier constat : la pratique des démocraties représentatives est en mouvement sous l’effet d’une dialectique entre deux logiques : d’une part celle des théories révolutionnaires de la démocratie de l’Abbé Sieyès et de Jean Jacques Rousseau asseyant la légitimité démocratique sur la pratique de la prise de décision à l’unanimité, et d’autre part l’exigence pratique : l’obligation de devoir prendre une décision alors même que l’unanimité n’est jamais atteinte. Il observe ensuite que ces auteurs ont résolu l’équation par le principe suivant : si l’unanimité ne peut être obtenue sur toutes les décisions, elle persiste cependant à fonder la légitimité de toute décision prise à la majorité, en ce que le procédé de son adoption à la majorité est lui arrêté à l’unanimité, même tacite. Dans un cadre plus moderne, il cite la théorie utilitariste, incarné sur ce sujet par John Rawls, pour laquelle c’est l’efficacité de la décision à l’égard du plus grand nombre qui permet son acceptation par chacun, théorie qui amène ainsi l’idée qu’il existe une légitimité a posteriori.

  Revenant sur les théories classiques, il met évidence que chez ces auteurs, la légitimité se fonde non seulement sur le libre arbitre de chacun, c’est-à-dire sa capacité à dire « non », mais l’expression de sa volonté, volonté alors comprise comme prédéterminée, en aucun cas sujet d’incertitude et pouvant donc être exprimée au moment même où la question est posée à l’individu. La délibération doit dès lors être entendue comme un processus individuel, limité à un examen critique des options à la lumière de ces préférences intuitivement constituées. La confrontation de l‘opinion de l’individu avec celle de ses semblables n’y est pas envisagée, et plus encore, elle y est considérée corruptrice : l’inflexion de l’opinion y est forcément produite par une manipulation par rhétorique où un individu fait croire à d’autres que leurs intérêts se confondent. La délibération se confond donc avec la décision. De même, John Rawls limite la délibération politique à la décision, parce que les individus placés dans une situation identique croient, selon lui, à leur identité d’intérêts et sont donc persuadés par les même arguments. Là encore l’expression concertée des volontés y est prohibée, une rationalité intrinsèque de l’individu le prédestinant à opérer choix optimal, cette réunion ne ferait que troubler l’ordre naturel du jeu politique. Or, B. Manin oppose que l’expérience dément ces présupposés de rationalité et de spontanéité de la constitution des préférences. : non seulement l’individu ne dispose pas initialement d’une information complète, mais il ne dispose pas du temps nécessaire pour réunir cette information et examiner une à une toutes les options possibles, et on ajoutera à cette critique que quand bien même il en aurait le temps, rien n’indique qu’il le mettrait à profit en ce sens. A l’inverse, une délibération entendue comme échange d’informations et d‘analyses par les citoyens, enrichi par les partis politiques vient combler ces carences en limitant l’incertitude dans l’information. Car l’incertitude est quoi qu’en disent les classiques au cœur de l’enjeu politique précise B. Manin,  c’est en effet de toute évidence l’existence d’une incertitude qui rend la décision nécessaire : comme le dit l’auteur : le politique est « la recherche du juste ». De plus, les préférences, loin d’être spontanément appréhendées et optimisées par rapport aux intérêts de l’individu, ni même dans leur cohérence : elles sont au contraire désordonnées voir contradictoires, car relèvent de souhaits eux même contradictoires. En obligeant l’individu à formuler ces préférences, la délibération lui permet de saisir ces contradictions, et donc de les résoudre par une hiérarchisation des souhaits initiaux.

Join now!

  Ce sont ces considérations qui permettent à Bernard Manin de dégager une théorie générale de la production de légitimité par la délibération. La délibération est productrice de légitimité, car elle permet à l’individu d’appréhender son vrai vouloir : une volonté construite sur une détermination de priorités hiérarchisées et une saisie plus complète des données du problème, que celle qui aurait été la sienne dans l’hypothèse d’une prise de décision isolée. Autrement dit, loin de rendre le jeu politique plus opaque et dissymétrique, la délibération seule est  à même de constituer l’individu en une entité politique autonome., elle est le processus ...

This is a preview of the whole essay